Sculpteur, Meilleur ouvrier de France
Il habite Alfortville, la ville française comportant le plus grand nombre de ian dans les pages blanches de l’annuaire, avec Marseille, Issy les Moulineaux et Lyon. Né à Erevan, capitale de l’Arménie, sous l’ère soviétique, Arestakes a toujours été adroit de ses mains. Dès l’âge de six ou sept ans, il tape, tord, cloue, fabrique, invente des formes avec tout ce qui lui tombe sous la main.
Cet autodidacte absolu, curieux et gourmand de tout, a trouvé sa voie avec la sculpture. Meilleur ouvrier de France en 2015 dans le domaine de l’Artisanat d’Art. Grâce à une reproduction à l’identique du Brutus de Michel Ange en marbre de Carrare veineux siliceux, tout au burin, 250 heures de travail !
Dans son atelier encombré de photos, de dessins, de sculptures, où il reçoit ses élèves, il vous accueille à l’arménienne. Avec chaleur, gâteaux, vin, jus de fruit, café, et amitié. Puis vous lui parlez d’Art et là, Arestakes vous fixe profondément, agite ses bras, fend l’air de gestes précis et vous transmet sa passion durant de longues et passionnantes explications sur les points importants, voire essentiels de son métier.
Amateur de sport, de danse, sa touche est très dansante, chatoyante, stylisée.
Les gênes ont travaillé en sa faveur : « Papa était un bricoleur de génie, un genre de Mac Gyver, doté d’une bonne réflexion. Maman était brodeuse en lingerie fine ».
Ses parents sont nés à Marseille, ils s’étaient rencontrés en Arménie dès 1947 !
Mais remontons le fil de l’histoire car tout cela semble un peu embrouillé. Après le génocide de 1915, dont tout le monde a entendu parler sauf les Turcs, ses grands-parents ont atterri par bateau comme une grande partie de la diaspora sur les quais de la Joliette.
A l’âge de vingt ans, sous la pression d’une propagande bien faite pour le retour au pays, ses parents retournèrent sur le sol des ancêtres… Du coup, notre artiste naîtra en Arménie.
En 1969, la famille parviendra à revenir en France, fuyant ainsi un régime communiste privant ses citoyens de liberté derrière le Rideau de Fer. Il a douze ans.
Le ‘’môme’’ se souvient : « La vie était dure » en Arménie, on mangeait du chocolat une fois par mois, car mes parents n’ont jamais voulu rentrer dans le système. Mais on s’amusait bien dans la rue. Mes parents regrettaient la France, je les voyais pleurer ».
Tout petit Arestakes aimait déjà faire des choses de ses mains, « casser les assiettes pour voir ce qu’il y avait à l’intérieur », un esprit porté visiblement sur la recherche, l’analyse, « Je voulais comprendre ».
A l’école arménienne, tous les enfants apprennent la couture. Arestakes révèle déjà son talent dans la maîtrise des ourlets, et la maîtresse dépitée par la maladresse de deux fillettes montre alors notre garçonnet en exemple… Honte absolue dans un pays où le machisme règne en maître. « Je ne voulais plus faire de couture ! ».
Il est fort aussi en maths et en calcul. Toute problématique étant pour lui un chemin passionnant à explorer. La réflexion poussant à la recherche.
« Je rêvais d’un petit canif, mon père m’en offrit un, je pouvais tailler le bois », mais à 8 ou 9 ans, il manie beaucoup la lime à métaux. Il façonne des épées stylisées, le talent apparait sous ses coups de marteau. « Je me suis découvert ce plaisir de réaliser des choses, avec le bois, le métal, des fils en aluminium qui trainaient dans les rues. Tous les gamins jouaient un peu comme ça dans les rues d’Erevan. Après il faut travailler ».
L’Amour étant le fil conducteur de toute réussite.
Le frère de son père travaille le plexiglas, il lui apprend à tresser des ceintures à partir de fils téléphoniques ! Il peaufine son ‘’apprentissage’’ durant les vacances scolaires, puis les offre à ses copains. Modeler, sculpter, tailler, construire, assembler, monter, sont ses maîtres mots. « C’était complet, on construisait des choses ».
Ils rejoignent Alfortville et une partie de la famille déjà émigrée. Les enfants ne parlent pas le Français. « On m’a placé avec des enfants de huit ans ! J’étais frustré, car j’aimais apprendre au contact des aînés. Je me suis retrouvé ensuite avec des classes ‘’Transitions’’, ceux qui ne faisaient rien ». Mais il découvre les grands artistes, Michel Ange, David, Léonard de Vinci, et veut faire les Beaux-Arts…
Arestakes fait peu d’études, un regret. Le tonton a besoin de lui pour le business…..Celui dans lequel les Hays s’épanouissent, la confection. Il est commis au marché pendant les vacances. A 15 ans, il entre dans une école d’ajustage et de dessin industriel, tout en poursuivant les marchés. Hélas, sa tête déplait à son prof et il est viré après une altercation. Il devient aide-coupeur, apprend le métier, traceur, matelasseur, son sens de la géométrie le propulse chef d’atelier.
La grande sculpture ? Elle arrive dans sa vie en 1985 lors de la construction de son pavillon. Il récupère de vieilles poutres en chêne abandonnées. Passionné d’architecture, il va s’en servir pour le sous-sol de sa maison. Avec les chutes, il commence à sculpter…et à rechercher la justesse en 3D.
« Le portrait, c’est le plus compliqué à réaliser. J’ai commencé avec un visage en bas-relief. J’avais déjà travaillé la pierre. Puis ma fille de 5 ans, Christina, m’a dit : « Papa, tu peux faire ma tête ? ». C’est là que tout est parti. Je l’ai fait comme un moulage en 15 jours, travaillant nuit et jour ».
Ce sera celui de son fils ensuite, Varoujan, puis son frère. A la fin des années 97, il ambitionne d’aborder le nu, et est accepté en cours du soir aux Beaux-Arts de la mairie de Paris. « Je voulais étudier le corps nu dans des postures complexes afin d’apprendre l’anatomie. J’ai donc connu le modelage de la terre ».
Inscrit à la Chambre des métiers en 2001, il tient à cette appartenance.
« Je tiens beaucoup à la notion d’artisan, synonyme de savoir-faire, artiste, c’est un esprit, une âme, une philosophie. Il faut être l’artisan de son Art. Un sculpteur doit connaître la technique, l’anatomie, je me suis beaucoup documenté, et surtout j’ai beaucoup regardé, touché. J’ai fini par comprendre plus tard que je possédais un don, une espèce de magie. Certes j’ai beaucoup travaillé, mais il faut une combinaison de trois choses, trois prédispositions : Perception, Réflexion, et réalisation ».
L’important étant de réussir à combiner les trois !
Depuis seize ans, il a ouvert son atelier, et enseigne les Arts plastiques avec ce goût de la perfection qui le caractérise parfois : « Je ne cache rien à mes élèves, que ce soit techniquement ou artistiquement, je vais dans le sens de l’élève. Pour moi la sculpture, c’est géométrique. Ensuite s’exprime la créativité. Il faut être à la hauteur de ce que l’on prétend enseigner, être pédagogue, avoir de la générosité pour transmettre nos petits secrets ».
Un lieu de vie très riche où chacun, de tout âge, apporte à l’autre.
Pour les 90 ans du génocide des Arméniens, il a sorti de ses mains, le portrait d’une vieille femme rescapée, une statue époustouflante de réalisme, et d’émotion. L’original est chez Aznavour. « Une création tombée du ciel », car au départ le projet était différent…
Une performance ô combien émotionnelle, en direct et en public réalisée sur le parvis de Notre Dame !